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Un trou de la mémoire européenne?

Publié le

Huit mois en Pologne et il m'en a fallu autant pour entendre parler des allemands expulsés de Pologne et plus généralement d'Europe centrale après la Seconde Guerre mondiale.  Loin de moi l'idée de me lancer dans un cours magistral sur la fin du troisième Reich, mon ambition est simplement celle de relater un fait historique qui m’était jusqu’alors totalement méconnu.

Lors de mon séjour à Torun, j'ai fait la connaissance de Ricarda, pétillante petite allemande, fervente adepte de voyages et de sacs-à-dos. Lors de l'un de ces interminables trajets en bus nous menant d'un village perdu de Pologne (village le mot est presque trop fort!) à Wroclaw, Rici m'a raconté que ses grands parents, allemands, étaient nés dans ce qui est aujourd'hui la Pologne et avaient été « rapatriés » en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En interrogeant d'autres camarades allemands, j'ai découvert que beaucoup de leurs grands parents avaient vécus des histoires similaires.

En me remémorant l'Histoire de la Pologne au vingtième siècle, j'ai alors réalisé que ses frontières avaient été profondément bouleversées après la seconde guerre mondiale.

Un véritablement glissement de la Pologne vers l'Ouest a été enterriné par les vainqueurs lors de la Conférence de Postdam en 1945. Alors qu'à l'Est, la Pologne perdait 179 000 kilomètres carrés au profit de la République ukrainienne de l'Union Soviétique, elle gagnait en même temps plus de 100 000 KM carrés à l'Ouest sur les anciens territoires allemands situés à l'Est de la ligne Oder-Neisse. Ainsi les anciennes provinces de Poméranie, de Silésie, de Prusse et la province à l'est de Brandebourg précedemment allemandes, sont devenus des territoires polonais.

Un trou de la mémoire européenne?

Ces modifications territoriales ont radicalement bouleversé la géographie européenne, mais elles ont également entraîné l'expulsion des allemands de ces territoires. Ce phénomène n'a pas été unique. D'un peu partout en Europe centrale et orientale, les allemands ont été expulsés vers l'Allemagne après 1945. Certains historiens parlent de 20 millions de personnes ainsi transférées. En Pologne, on en dénombrerait quelques 7 millions.  

Après la Seconde guerre mondiale les leaders des pays vainqueurs ont, en effet,  imaginé que la meilleure solution pour éviter l’éclatement de nouvelles tensions en Europe était de faire coincider les frontières éthnographiques avec celles des Etats-nations. L’idée pouvant être résumée ainsi : « Nous devrions profiter de ce moment de bouleversement mondial pour effectuer des transferts de population là où ils sont nécessaires pour éviter de nouveaux conflits et permettre ainsi aux peuples de vivre sous le gouvernement qu’ils désirent, libres de toute discrimination raciale. » (Sumner Welles, ancien sous-secrétaire d’État, ami proche de Roosevelt). Pour le cas polonais, l’idée défendue était celle d’une nation idéale sans aucune minorité éthnique ou religieuse. La propagande officielle faisait référence aux « terres récupérées », justifiant ainsi que les « nouveaux » territoires polonais auraient toujours fait partie de la Pologne.  

Un trou de la mémoire européenne?

Comme on peut aisément l’imaginer, le transfert des allemands n’a pas été des plus pacifiques, après 5 ans d’une guerre abominable qui a dévasté la Pologne et l’Europe centrale, beaucoup de sentiments revanchards à l’égard des allemands ont fleuri. Il ne faut pas oublier qu’après les juifs, le peuple polonais est celui qui a été le plus persécuté par les nazis. Un certain nombre d’allemands vivant dans les années trente en Europe centrale auraient été très favorables à la politique nazie et auraient facilité sa mise en oeuvre en Europe centrale. Ainsi la haine anti-allemande qui a connu son apogée au sortir de la guerre a mené à des actes de vengeance parfois particulièrement cruels. Finalement « la haine des allemands a été un élément d’intégration de la société polonaise avec les nouveaux territoires » : aucune distinction n’étant faite entre Hitler, le national-socialisme et le peuple allemand.

Faisant face au  traumatisme du déracinnement, beaucoup allemands transférés l’ont été dans des conditions déplorables. Lorsqu’ils n’ont pas été victimes d’assassinats du fait de leur éthnicité, ils ont parfois été parqués dans des camps et ont du parcourir à pieds des centaines de kilomètres subissant des privations similaires à celles subies par les victimes de nazies quelques mois auparavant. Certains historiens avancent le chiffre de près de 500 000 allemands morts du fait de ce transfert de population.

Bien sur, il convient également de mentionner le cas des polonais et des tchèques qui ont protégé des allemands et ont ainsi empêchés leur assassinats en les déguisant en polonais ou en les cachant par exemple. Une phrase restée célèbre fut celle prononcée par un medecin polonais pour dénoncer ces crimes : « Soit nous sommes aptes à être leurs juges, auquel cas nous ne pouvons nous conduire comme eux, soit nous ne sommes pas différents d’eux, auquel cas nous renonçons au droit de les juger. »

Ce transfert de population,  décrit par R.M.Douglas, auteur d’un ouvrage sur la question, comme le plus important de l’histoire de l’humanité, a cependant été massivement ignoré dans nos livres d’Histoire. Certains pensèrent en effet qu’il valait mieux passer l’événement sous silence, de peur d’amoindrir l’horreur que devait inspirer un crime bien plus grand. Et pourtant, certains de ces expulsés ont bel et bien été victimes de crimes pour la seule raison de leur origine ethnique. Comme le résume Douglas, « Prétendre que la culpabilité serait réduite ou éliminée parce que les coupables ont préalablement été eux-mêmes victimes pourrait offrir des circonstances atténuantes à presque tous les épisodes de ce genre. C’est d’ailleurs ce que prétendaient les nazis eux-mêmes. »

 

Soixante and plus tard, d’aucun pourrait penser que les sentiments revanchards seraient oubliés pour laisser place à la vérité historique et la recherche scientifique? Pourtant lorsqu’en août 2011, une exposition sur le sort des expulsés allemands a été organisée à Berlin, de nombreuses voix se sont élevées pour la dénoncer. Le premier ministre polonais de l’époque, Jaroslaw Kaczynski, a vu dans cette exposition "une tentative de relativiser l'histoire de la Seconde guerre mondiale".  Les craintes polonaises sur cette question seraient liées à l’appartion de revendication (indémnisation , titres de propriété, etc...) de la part de certaines associations d’expulsés allemands.

 

Si la fuite trouve sa cause dans une guerre d'agression préalable, il n’en demeure pas moins qu’au délà des crimes nazis, des miliers de personnes ont été déracinnées, ont du fuir les terres de leurs ancêtres, en laissant derrière eux des décennies d’histoire familiale. Comme toujours les destins particuliers furent les premières victimes de la Grande Histoire.

 

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